Keywords:
akhlaqi, akhlaqiyyat al-tibb wa ouloum al-hayat,
bioética, bioethics, bioéthique, brain-mind relationships, esprit, guerre de velours, soul,
tecnociencia, techno-science, technoscience ultrahistory,
ultrahistoire
Éthique
de la
Bio-Éthique
Thème d'une conférence donnée à Damas le 6 décembre
2003 dans le cadre des « Rencontres
Franco-Syriennes de Bioéthique » Texte publié à Beyrouth dans la revue
" Travaux et Jours " N°73, Printemps 2004.
par
Antoine Courban[1]
Electroneurobiología
2004; 12 (1), pp. 73-89; URL
<http://electroneubio.secyt.gov.ar/index2.htm>
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Pour
ne pas croire au Père Noël [2]
Jadis, Socrate se demandait
si oui ou non la vertu pouvait être enseignée, au sens de sa transmission par
les didascales et non de sa perpétuation par les pédagogues. La prudence
ainsi que les scrupules du vieux Socrate sont certes touchants mais
apparaissent, du moins aujourd’hui, déplacés, anachroniques voire empreints de
fatuité suffisante et pharisaïque, en tout cas aux yeux du monde de
l’éducation. Qui, dans l’univers de l’enseignement, oserait prétendre que
l’Éthique ne s’apprend pas ? Une telle affirmation ferait passer son auteur
pour un conservateur acrimonieux, un individu hors du temps de la modernité. Si
l’Éthique, pour Emmanuel Lévinas, est une philosophie première bien avant toute
morale, force est de constater que la préoccupation d’éthique est devenue
aujourd’hui la priorité absolue, pour ne pas dire l’obsession majeure, dans
pratiquement tous les secteurs d’activité professionnelle. Il y aurait
semble-t-il des « ethics [3] »
et des « values [4] »
spécifiques à n’importe quel type d’activité humaine. Même un comportement instinctif,
inscrit dans la chair de tout un chacun, et qui n’est donc pas une vertu
morale, fait pompeusement l’objet d’une classification et d’une taxinomie
« valorielle [5] »
propres à donner le vertige.
Récemment, une responsable
de l’enseignement complémentaire et secondaire m’a demandé de bien vouloir
superviser un cursus spécifique, en Éthique/Bio-Éthique,
qu’elle souhaitait implanter dans son établissement. J’ai applaudi à son idée mais
n’ai pas accepté sa proposition. Je l’ai cependant chaleureusement félicitée et
lui ai vivement suggéré d’étendre ce cursus vers le bas, vers les classes
primaires et maternelles afin de bien s’assurer que les chers bambins de son
établissement connaissent l’éthique comme ils connaissent la règle de trois et
la table de multiplication. J’ai, dans le même temps, refusé d’assumer des
cours d’éthique au premier cycle universitaire d’une école de médecine. J’ai
proposé de les faire remplacer par une initiation à la philosophie générale.
Par ailleurs, j’ai suggéré aux responsables académiques de mettre en place,
dans le cadre du deuxième et du troisième cycles universitaires, un forum
permanent où des situations concrètes et précises peuvent faire l’objet de
débats ouverts et critiques portant sur les valeurs qu’elles engagent ou
qu’elles pourraient engager.
Que dire alors de
l’initiative de telle responsable d’institution, dans le réseau associatif, qui
met en place quelques cours d’éthique destinés au grand public fréquentant tel
dispensaire ou tel centre médico-social ? Ma charmante collègue était
pourtant convaincue que ces cours d’éthique pouvaient améliorer les conditions
psychologiques de son « target-group [6] ».
On peut, à la limite, effectivement imaginer qu’une bonne formation en éthique
ou bio-éthique pourrait rendre les classes laborieuses moins portées à troubler
l’ordre social et plus enclines à faire preuve de la nécessaire retenue ainsi
que de sagesse, cette indicible « sophia » que l’Éthique est
supposée véhiculer.
Rendre
à César ce qui est à lui
Cette préoccupation éthique
est assez récente. La vague a commencé dans l’univers culturel anglo-américain
qui a toujours su développer une grande activité en philosophie morale. Avec la
domination étasunienne sur le monde, perceptible depuis la décennie 1990, la
préoccupation éthique s’est progressivement généralisée au reste de la planète,
parfois même sans discernement. Sous couvert de dialogue des cultures, on a
tendance à s’imaginer que l’imitation du modèle américain dans le domaine de la
philosophie morale et plus précisément dans le secteur de l’éthique dite
substantielle [7]
ou appliquée [8]
est quasi une preuve de ce « sustainable development [9] »
auquel tout le monde rêve d’accéder.
Durant la dernière
décennie, cette tendance s’est développé de manière galopante. Dans une étude
récente, Gordon Marino [10]
faisait observer qu’il existe actuellement un grand nombre de professionnels,
appelés « éthiciens » ou « ethicists » et qui
agissent au titre de super-ego de n’importe quelle profession. Il fait le
constat qu’aux Etats Unis, si on prend n’importe quelle profession, on peut
être quasi certain de l’existence d’une autre profession appelée éthique de la
première ( ainsi : bio-éthique ; éthique médicale ; éthique
informatique ; éthique juridique ; éthique économique etc. ).
De
la conscience morale
On peut d’ailleurs
s’interroger sur les raisons qui qualifient quelqu’un à être reconnu comme un
expert en affaires morales. Ainsi, « Randy Cohen, le responsable de la
rubrique The Ethicist dans le New York Times Magazine était un
auteur de pièces comiques pour le compte du David Letterman Show avant
d’occuper ses nouvelles fonctions de directeur du bien et du mal [11] »
dans le prestigieux magazine new yorkais. Je ne cherche pas à cacher mon propre
scepticisme quant à cette nouvelle catégorie d’experts ou quant à l’idée même
que l’Éthique serait ou pourrait être un champ d’expertise comme, par exemple,
l’astrophysique. « Alors que certains se désolent de ne pouvoir assurer
des cursus d’éthique à des étudiants et des apprentis-professeurs, je demeure
quant à moi fidèle à la certitude aristotélicienne que ce n’est pas de savoir
théorique supplémentaire dont nous aurions besoin mais de plus d’audace et de
courage, et que ceci ne s’obtient pas en mémorisant des paradigmes
méta-éthiques ou en analysant des histoires de cas [12] ».
Dans son célèbre et
lapidaire « La Maladie à la Mort » ( Traité du Désespoir),
Sören Kierkegaard (1813-1855) faisait observer en 1849 que la plupart des gens
« travaillent graduellement à éclipser leur intelligence éthique et
éthico-religieuse [13] ».
L’auteur danois pensait que la connaissance morale est universellement
distribuée, au titre de « conscience ». Cependant, selon la propre
conception de Kierkegaard, la conscience demeure un combat permanent
d’aspiration vers le haut car, comme nous pouvons le constater dans notre
propre chair, les directives de la conscience semblent hélas inversement
proportionnelles aux impératifs de l’intérêt personnel.
Néanmoins, les prosélytes
et les missionnaires contemporains de l’éthique tout azimut semblent motivés
par l’idée que le progrès moral s’obtient en développant nos capacités mentales
d’analyse ainsi que notre habileté à assimiler des concepts abstraits. On ne
voit pas très bien à quoi pourrait mener une telle croyance dans le cas d’un
expert-comptable par exemple. Si cet expert était mieux averti des choses de
l’éthique, cela l’amènerait-il à ne jamais falsifier des documents comptables ?
Cela rendrait-il ses bilans et ses rapports techniques plus brillants ce qui
pourrait entraîner une appréciation des actions en bourse de sa
compagnie ? Le véritable défi moral réside-t-il dans une indigestion par
accumulation de connaissances ou dans l’attitude de bon sens qui consiste à ce
que tout savoir nous aide à nous conformer à ce que nous possédons déjà, à
savoir la conscience morale ?
Transposer
un concept : la Bio-Éthique
On voit bien la difficulté
que cette problématique pose et combien paraît léger l’abus de langage qui
consiste à accommoder le vocable « éthique » à toutes les sauces
lexicales. Cette tendance est caractéristique de l’évolution au sein de la
culture occidentale. C’est pourquoi, vu d’Orient, il ne faut jamais oublier que
le dialogue des cultures ne consiste pas en un échange entre fantômes ou entre
entités immatérielles. Le dialogue des cultures est avant tout celui d’êtres de
chair, les hommes. C’est à l’intérieur de chacun de nous que les cultures
dialoguent et non à l’extérieur, à l’air libre en quelque sorte.
Si le contenu du vocable
« Bio-Éthique » est déjà si difficile à cerner en français ou en
anglais, il l’est encore plus quand il s’agit de transposer cette expression en
langue arabe. En effet, l’expression utilisée en arabe ( akhlaqiyyat al-tibb
wa ouloum al-hayat ) pour dire « bio-éthique » se traduit en
français par « éthique médicale et des sciences du vivant » ou
« de la vie ». Ceci ne permet cependant pas d’appréhender la réalité
à laquelle renvoie le concept « bio-éthique » qui doit faire l’objet
d’un discernement rigoureux afin de pouvoir en dégager les enjeux contemporains
sur les plans culturel, politique et anthropologique. La rigueur d’un tel
discernement exige comme préalable de pouvoir conserver au vocable « bio-éthique »
son trait intermédiaire, non pas d’union, mais de séparation entre ses deux
composants lexicaux qui appartiennent à deux registres épistémologiques
distincts et qui doivent impérativement le demeurer.
Éthique
et Ethos
Dans un discours prononcé
le 30 novembre 1995 devant la prestigieuse Royal Society de Londres, son
président Sir Michael Atiyah[14]
disait : « dans le monde actuel, la communauté scientifique risque
de perdre, à la fois son identité et sa vocation. L’ethos spécifique de la
science devient de plus en plus difficile à discerner ». Il
ajoute : « A partir d’aujourd’hui, la science et le grand capital
sont des partenaires à part entière ». Rappelant l’impossibilité et
l’inutilité dangereuse de vouloir remonter le temps, Sir Michael Atiyah insiste
lourdement sur le fait que la communauté scientifique est de plus en plus
« perçue comme faisant partie intégrante de l’establishment ».
Ainsi, pour l’imaginaire
contemporain, l’homme de science appartiendrait au même registre que celui du
« executive » et du « manager ». Récusant
violemment un tel amalgame, Sir Michael Atiyah proclame que la seule manière de
le briser serait, pour l’homme de science, « de parler en toute
liberté, de critiquer l’Establishment chaque fois qu’il est nécessaire »
et de démontrer que, sans la liberté de pensée et de parole, l’esprit
scientifique demeure lettre morte.
Il existe des vocables qui
connaissent un succès foudroyant sans que, pour autant, le grand public puisse
aisément discerner toutes les nuances polysémiques de certains d’entre eux. La bio-éthique,
la techno-science et l’humanisme appartiennent à ce registre et
les méprises sémantiques qui leur sont attachées peuvent avoir de très lourdes
conséquences.
De nos jours, l’humanisme
est malheureusement confondu avec l’humanitaire, ce qui est à la fois faux et
réducteur. Il est inutile d’insister, dans ces conditions, sur la réduction du
fondement de l’humanitaire à la seule compassion, émotion touchante mais
charnelle, sans aucune dimension éthique car n’étant même pas une vertu morale.
Quant au jeune vocable
« bio-éthique », il est souvent et abusivement employé au titre de
substitut ou d’équivalent moderne du vieux concept d’Éthique, quand il n’est
pas tout simplement confondu avec je ne sais quelle « bio-morale ».
Cette ambiguïté existe dans
les milieux universitaires où elle entraîne une grande confusion parfois.
Ainsi, on trouve indifféremment et indistinctement des « départements
d’éthique » ou de « bio-éthique », des « chercheurs en
éthique » ou des « bio-éthiciens », des assistants, des cursus,
des thèses, des étudiants et des enseignants qui poursuivent indistinctement
des activités soit d’éthique soit de bio-éthique. Sans oublier, en passant, ces
multiples workshops ou « ateliers » où on ne fabrique aucun
« bien » à l’image des ateliers réels. Quand ces workshops
sont consacrés à l’éthique, on est frappé par le fait que les animateurs
d’atelier ne commencent pas par demander aux participants de réfléchir tout
simplement au sentiment tellement humain d’auto-frustration et
d’auto-déception, sans doute le principal empêchement à une vie vertueuse. Au
lieu de cela, les participants se croient obligés de plancher sur des concepts
abstraits et ardus, souvent mal compris, issus de la pensée d’Augustin
d’Hippone, de Montaigne, Dostoïevski, Freud, Nietzsche et d’autres. Sans
oublier, bien entendu, les prouesses mentales de vedettes cognitivistes et
néopositivistes post-modernes comme Peter Singer, Joseph Fletcher ou Leon
Festinger ( voir addendum infra ).
Quant à la
« techno-science », expression chère à Jürgen Habermas, elle nous a
habitué à penser la technique comme simple application de la science même si sa
thèse implicite est une conception qui veut que ce soit la technique qui ait
toujours été aux commandes des disciplines scientifiques.
Le monde du sens aurait-il
été à ce point marginalisé par la culture contemporaine ?
Emergence
d’un néologisme
Dans la foulée de Dominique
Lecourt, je me permets de rappeler que le terme Éthique est consacré depuis
l’Antiquité comme jugement d’appréciation sur des actes qualifiés de bons ou de
mauvais. Quant au vocable « bio-éthique », il s’agit d’un néologisme
apparu en 1971 sous la plume du cancérologue Van Rensselaer Potter dans son
ouvrage « Bioethics ; bridge to the future ». Malgré sa
très forte médiatisation, son contenu demeure, à l’heure actuelle, imprécis.
On peut d’ailleurs
s’interroger, en toute légitimité, sur le bien-fondé de la juxtaposition du
préfixe « bio » avec le terme « éthique ». Qu’on le veuille
ou non, il y a là un oubli de toute référence explicite à l’art médical, et cet
oubli n’est pas sans danger. A l’instar de la techno-science, la bio-éthique
pourrait véhiculer, elle aussi, une thèse implicite qui consisterait à atténuer
le caractère absolument radical, souligné par Emmanuel Lévinas, de
« l’Éthique comme Philosophie Première ».
Une telle marginalisation
du primat de l’éthique, comme adéquation de nos actions à une certaine idée du Bien,
est en contradiction avec toute la tradition culturelle de l’humanisme
méditerranéen issu de l’antiquité gréco-latine ainsi que du monothéisme. En
d’autres termes, le jour où l’Éthique, même escortée du préfixe
« bio », doit devenir une spécialité savante, une discipline
universitaire ou une activité d’experts, il serait à craindre que nous ne
soyons obligés de porter le deuil de « LA » civilisation.
Pour
une compréhension juste et sereine de la Bio-Éthique
Afin d’approcher le sens de
cette expression aux contours flous, il faut avoir conscience que la
Bio-Éthique est essentiellement une « technique de résolution des
conflits », et elle ne saurait être autre chose. Elle se propose de
résoudre les conflits de valeurs, supposés ou avérés, entre avancées
bio-technologiques et droits fondamentaux de protection de la dignité de
l’homme. C’est un champ d’interaction entre disciplines diverses qui se
retrouvent autour d’une problématique spécifique pouvant mettre en jeu des
valeurs à l’occasion de gestes et de pratiques bio-médicales.
Ceci signifie qu’il ne
s’agit pas là d’un champ disciplinaire spécifique. Il ne saurait y avoir un
« bio-éthicien » comme il existe un « bio-chimiste ». Mais
ceci veut dire que la bio-éthique ne peut être assimilée à un processus de
création de valeurs. Les valeurs, ou plutôt les échelles de valeurs, sont
créées par les cultures, les civilisations et les religions.
Ainsi définie, la
bio-éthique appartient donc à un registre utilitaire et pragmatique. Le
contraire serait, d’ailleurs, surprenant quand on sait qu’elle est née et
qu’elle a connu ses principaux développements dans les milieux nord-américains
marqués par le libéralisme anglo-saxon, son esprit empirique, son approche
utilitaire en philosophie morale, son pragmatisme ainsi que la tradition de la Common
Law. C’est dans un tel climat que s’est mise en place l’éthique appliquée
qui s’est progressivement différenciée en « éthique des affaires »,
« éthique économique » et, à partir des années 1960, en
« bio-éthique », cette dernière demeurant largement tributaire des
violences du XX° siècle et des scandales retentissants qui ont terni l’image de
la recherche bio-médicale. L’équation harmonieuse qui régnait depuis le XVIII°
siècle, entre les avancées technique et scientifique et l’aspiration de l’homme
vers un bien-être en progrès permanent, est aujourd’hui rompue.
Selon l’idéologie
techno-financière ambiante, où le concept de valeur renvoie exclusivement à la
transaction commerciale, le progrès en sciences ne reconnaîtrait plus aucune
limite sauf, précisément, celle du « techniquement possible »
selon la formule de Gilbert Hottois qui met en garde contre la dangereuse
« dérive de la liberté scientifique en un impératif technicien ».
Cet impératif du techniquement réalisable, donc à réaliser, hypothèque la
médecine qui se trouve, de plus en plus, dépendre de critères appartenant au
développement de techniques qui lui sont, par nature, étrangères et qui
relèvent de la logique de productivité et de rentabilité.
Ainsi le préfixe « bio »
de « bio-éthique » recouvre une réalité qui va bien au delà de la
tour d’ivoire du chercheur ou du cabinet du praticien. Il fait partie
intégrante des produits de ce marché dont la liberté, nous dit-on, prime toutes
les autres y compris la liberté constitutive de l’homme, laquelle ne
serait plus en ce monde que situationnelle ou, tout au plus, accidentelle.
Éthique
ou étiquette : l’enjeu culturel en bio-éthique
Afin d'assurer une approche
positive de cette problématique, il est nécessaire de ne pas faire de ce débat
un conflit caricatural entre de prétendus "modernes", promoteurs de
la recherche scientifique, et de supposés "anciens" qui seraient les
défenseurs des normes fondamentales de la protection de la dignité humaine.
Comment se présente à l’heure
actuelle les modalités d’institutionnalisation de la bio-éthique? Dans
l’univers culturel de l’Occident, nous nous trouvons face à deux modèles,
reflet de deux cultures juridiques différentes :
Le modèle [nord]
américain avec son penchant pour la standardisation procédurale. Ce modèle
demeure marqué par la recherche du consensus qu’implique son approche
casuistique dans la fidélité aux principes généraux qu’énumère le Belmont
Report : d’autonomie, de bienfaisance, de non-malfaisance. Ainsi, le
passage de l’éthique au droit se fait par le biais de la jurisprudence plutôt
que celui de la loi.
Le modèle français,
fidèle à la tradition gréco-latine, qui a su effectuer le passage de l’éthique au
droit par les Lois bioéthiques de 1994 actuellement en voie de révision. De
nombreux pays européens et extra-européens, dont le Liban [15],
ont adopté ce modèle en légiférant dans ce domaine.
Ces modèles ont émergé au
sein de deux traditions culturelles distinctes mais qui, néanmoins, séparent
nettement le temporel du spirituel. Dans cette conception, le vocable Éthique
ne renvoie pas nécessairement à un acte créateur comme le fait son équivalent
arabe « akhlaqi » qui vient de la racine « khalaqa »
ou créer.
Dans l’Orient arabe, nous
ne vivons pas au sein de sociétés sécularisées. Peut-on, dès lors,
institutionnaliser la bio-éthique en copiant un modèle ? Certes, on
pourrait adopter un ou plusieurs schémas de procédures pertinentes mais il y
lieu de le faire après une étude critique rigoureuse car un double danger se
profile :
D’une part, on risque fort
de s’enfermer dans l’idolologie ( et non idéologie ) procédurière et de
confondre, sous couvert de bio-éthique, entre éthique et étiquette.
D’autre part, en
standardisant sans discernement les méthodes procédurales, on risque de tomber
dans le « politiquement correct » de l’hégémonisme culturel
unilatéral, danger réel à l’heure de la globalisation.
Quelle
position juste en bio-éthique: l’enjeu politique
Pour situer l’enjeu
politique qui se profile ainsi, il me semble nécessaire de considérer que deux
principes doivent demeurer intangibles et inaliénables afin de permettre un
déploiement harmonieux de la dynamique scientifique dans le cadre de la protection
des droits fondamentaux de la personne humaine.
Le premier principe
consiste à proclamer la valeur unique de la science mais surtout à la
reconnaître comme participant à la recherche du bien commun, à la chose
publique. L’activité scientifique doit être remise dans l’espace public, celui
de la cité, car le scientifique ainsi que le politique, oeuvrent à
l’amélioration du bien-être de tout un chacun. Cependant, ce principe doit en
permanence rappeler que la science ne saurait couvrir tous les besoins de l’homme.
Le deuxième principe
consiste à reconnaître et appuyer la légitimité du politique dans la fixation
des normes, notamment en bio-éthique. Le politique détient, par essence, un
rôle privilégié de régulateur et une position centrale d’arbitre. Le même
politique est impérativement sollicité à dépasser la vérité scientifique de
l’homme, nécessairement incomplète même si elle est exacte. Il incombe donc au
politique de se doter d’une vision anthropologique à long terme.
Cette anthropologie
constitue, me semble-t-il, un des fondements essentiels d’une vision juste en
bio-éthique. Malheureusement, la classe politique a tendance à démissionner sur
les questions bio-éthiques, tant en raison d’une certaine incompétence
technique que d’une insuffisance de cette même vision lui permettant de
disposer de références claires sur l’homme et sur sa spécificité. Ainsi, elle a
un penchant naturel à transférer son pouvoir d’appréciation en la matière aux
scientifiques. C’est la raison pour laquelle, en plus de la crise des valeurs
de notre culture, le discours scientifique tend de plus en plus à s’affirmer
comme étant celui de l’unique vérité objective sur l'homme. Une telle
démission, si d’aventure elle se concrétise, constituerait une forfaiture de la
part du politique car elle met en péril grave les droits fondamentaux de
l’homme et du citoyen. Est-il besoin de rappeler que la protection élémentaire
de ces droits est du ressort exclusif du politique ?
On le voit bien, le débat
qui se profile derrière ces questions est, par essence, un débat citoyen. Il
serait dramatique de s’imaginer que le principal de l’activité bio-éthique
consiste en débats entre esprits brillants et spécialistes, religieux ou
profanes, soucieux de civilité et n’ayant d’autre objectif que la recherche du
plus petit dénominateur commun entre eux. C’est pourquoi il me semble utile de
rappeler le discours sur la citoyenneté de Périclès tel qu’il est rapporté par
Thucydide dans son « Histoire de la Guerre du Péloponèse ». Le chef
athénien disait, entre autre, « …nous sommes les seuls à penser qu’un
homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen
paisible mais pour un citoyen inutile » et il ajoute « …nous
estimons plutôt qu’il est dangereux de passer aux actes avant que la discussion
nous ait éclairé sur ce qu’il y a à faire ».
Pour
qui la bio-éthique : l’enjeu anthropologique
Mais qui est donc cet homme
dont il faut protéger les droits ? Quelle est l’image qu’en donne la culture
contemporaine dominée par l’idéologie du scientisme ?
Es-il un simple robot sans
cervelle ?
Serait-il ce singe muni
d’un ordinateur ?
Ou n’est-ce pas plutôt une
machine pensante ? Pourquoi, dès lors, se mettrait-elle à fabriquer des
valeurs ?
Pour parler de notre époque
contemporaine, certains, comme Mario Crocco et Alicia Ávila [16] la qualifient d’Ultrahistoire. Pour ces auteurs,
l’Ultrahistoire n’est pas la fin de l’Histoire mais une situation inédite,
depuis le Néolithique, de « stase » et d’inertie où la seule mobilité
est celle des flux le long d’imaginaires structures globales appelées réseaux,
où la coercition est invisible et où la violence devient une guerre de velours.
Dans l’Ultrahistoire, le
monde serait à l’envers : le droit est ramené au fait ; le
« messager est le message » comme le disait Marshall McLuhan ;
le Sens est tout entier épuisé par ses signes ; les facultés ne sont que
des fonctions ; le pouvoir n’est plus celui des compétences mais celui exclusif
des autorités. Dans l’Ultrahistoire, les flux de l’économie sont découplés,
dissociés, de leurs propres acteurs et la notion de liberté ne caractérise plus
seulement la personne humaine mais qualifie d’abord la circulation des biens
marchands selon le sophisme du dogme néo-libéral: la liberté économique
conditionne la liberté tout court. Dans l’Ultrahistoire, les individus ne sont
pas vus comme des « sujets » mais comme des « nœuds » d’un
vaste réseau.
Cette anthropologie
réticulaire réduit l’homme à l’ingénierie de ses composantes organiques. Ce
modèle consiste en un homme-passoire, ne résistant à aucun flux et
circulant tel un somnambule dans la complexité des super-réseaux et des
cyber-systèmes sur lesquels il n’a aucune prise. Cet être est un consommateur
en bonne santé. Il est loin le temps où il n’était qu’une « chair à
canon ». Il n’est même plus une « velléité à consensus ». Il est
devenu une « pâte à informer ». Cet homme nouveau, modelable à
souhait, accepte avec jouissance de se conformer à des comportements nouveaux,
entièrement fabriqués, et qui lui garantissent avec certitude une « étanchéité
totale à l’intelligence politique » ( Châtelet ). Ainsi se réalisera
peut-être la sinistre prédiction de George Orwell portant sur l’ère marchande
qui verra les hommes se comporter compulsivement comme des rats de laboratoire.
Dans ces conditions, au nom
de qui faut-il mettre en œuvre une quelconque approche
bio-éthique ?
Au nom de quoi
l’individu aurait-il plus de valeur que les fleurs des champs ou les oiseaux du
ciel ?
Et pourquoi dois-je
me préoccuper du sort de ce qui n’est même pas un Autre mais, tout au plus, de
simples excroissances de l’écorce terrestre ?
Bio-Éthique
et Utopie
Pour Tzevan Todorov, l’image
de l’homme-machine est celle qui domine en Occident. Elle aurait déjà atteint
le niveau pré-logique. L’homme aurait-il définitivement acquis le statut d’une
chose ? Par définition, une chose est utilisable. Nous sommes ici au
niveau archaïque du substrat sur lequel se construisent et s'articulent les
discours, substrat qui ne s'observe ni ne s'étudie : c'est le monde des faits
sur lesquels on est d'accord a priori et on ne discute pas. C’est l’univers
sombre et glauque de la vérité sociale inconsciente, comme aurait dit Foucault.
Cette idéologie ne sépare
pas la santé de l’individu de celle de la Terre. Le « bio-pouvoir »
de Foucault, devenu « bio-éco-pouvoir », aurait ainsi pour tâche de
veiller sur ( au sens de sur-veiller ) l’ensemble du réseau organique, dit
corps, de cet homme utopique.
Lucien Sfez a bien montré
les dangers de la mise en place d’une médecine qui ne serait plus seulement
curative et préventive mais également prédictive, ou totalisante, et donc
préemptive.
Il ne serait donc pas impossible,
dans ces conditions, que l’art médical d’aujourd’hui ne soit demain sophistiqué
au point de se voir partagé par de nouvelles catégories de professionnels,
comme :
le bio-logiste :
expert en santé individuelle
l’éco-logiste :
expert en santé globale
le bio-éthicien :
le Maître du Discours, c’est à dire le Sophiste.
Si rien n’est fait pour
déconstruire courageusement le discours du scientisme ambiant, il est probable
que la science aura beaucoup de difficultés à pouvoir classer l’homme nouveau, sur
l’échelle taxinomique. Il lui suffira alors de se rappeler la boutade du grand
Cuvier qui disait : « La place est assez grande depuis les singes
jusqu’aux mollusques ».
--------
ADDENDUM :
Quelques propositions bio-éthiques,
cognitivistes, post-modernes et néo-positivistes.
1 – Peter Singer
Ce célèbre professeur de
Princeton fut récemment obligé, par ses collègues, de démissionner de ses
fonctions après avoir déclaré que « certains animaux bien portants sont plus
humains que certains représentants déficients de notre espèce ». Le Pr
Singer, professeur de Philosophie, d’Éthique et ancien président de la Société
Internationale de Bioéthique est une personnalité éminemment controversée mais
néanmoins une des grandes figures de la tendance néopositiviste ultra-libérale
de la bio-éthique étasunienne.
2 – Leon Festinger
Cognitiviste réputé. Il
est, entre autres, l’auteur de la « Théorie de la Dissonance
Cognitive ». Cette dissonance cognitive est dite opérante dans nos
décisions morales. Prenons un exemple vulgaire. Supposons que vous souhaitez
croire que vous êtes une personne pleine de compassion, prête à aider les
pauvres. Au même moment, vous pensez qu’il serait agréable de payer moins
d’impôts et vous êtes convaincu que le gouvernement exerce un effort
intolérable sur votre portefeuille. La théorie de la dissonance cognitive du
Professeur Festinger nous dit que vous allez avoir tendance, dans l’exemple
cité, de vous convaincre que le système d’entre-aide sociale en vigueur doit
être revu non parce que vous souhaiteriez payer moins d’impôts mais tout
simplement parce que vous pensez que si les prestations sociales diminuent,
l’opportunisme des bénéficiaires diminuerait également et ces derniers auraient
tendance à rechercher des emplois plus efficacement. Ainsi se profile la
conclusion éthique : supprimer les prestations sociales est dans l’intérêt
des bénéficiaires eux-mêmes. CQFD.
3 – Joseph Fletcher
Le Professeur Fletcher,
neuro-scientifique et cognitiviste, est célèbre par son ouvrage « Humanhood :
Essays in Biomedical Ethics ». Le chapitre premier de cet essai est
très connu dans les milieux des experts éthiciens car l’auteur y décrit sa
théorie de l’Éthique Situationnelle. Il y présente les 15 marqueurs de la
Personne ou mieux de la « personnéïté » ( personhood ). Il
oublie cependant de nous dire sur qui ou quoi nous sommes censés identifier de
tels marqueurs et qui nous permettraient de qualifier la chose ou la créature
de « personne ».
Ces indicateurs sont
respectivement :
Intelligence minimum ;
Eveil à soi ;
Self-control ;
Sens du temps ;
Sens du futur ;
Sens du passé ;
Capacité relationnelle aux
autres ;
Souci des autres ;
Communication ;
Contrôle de
l’existence ;
Curiosité ;
Changement et capacité au
changement ;
Equilibre
rationalité-émotivité ;
Idiosyncrasie ;
Fonction néo-corticale.
Voici donc la liste,
éthico-situationnelle, des 15 marqueurs de Fletcher que je livre, avec le commentaire
de l’auteur, dans leur langue d’origine :
Minimum intelligence: Below IQ 40 individuals
might not be persons; below IQ 20 they are definitely not persons.
Self-awareness: We note the emergence of self-awareness
in babies; and we note when it is gone, for instance, due to brain damage.
Self-control: Because a person understands cause
and effect, he or she can effectively work toward fulfilling freely-selected
goals.
A Sense of time: Persons can allocate their
time toward purposes; non-persons 'live' completely in the present moment, like
animals.
A Sense of futurity: Persons are concerned about
their futures; persons lay plans and carry them out; they build their futures.
A Sense of the past: Persons have memories of
their pasts; they can recall facts at will; they honor the past.
The Capacity to relate to others:
Persons are social animals; they form bonds with others, both intimate and
collective.
Concern for others: Persons always reach out to
others; non-persons draw into themselves, even pathologically.
Communication: Persons communicate with
other persons; if they become completely cut off, they become sub-personal.
Control of existence: Persons take responsibility for
their lives; those who do not guide their own behaviour are sub-personal.
Curiosity: Persons naturally want to know. If
they lose this desire to know, they are less human.
Change and changeability: Persons can grow into new
phases of life; If they resist change completely and totally, they are
sub-personal.
Balance of rationality and feeling:
Persons have both reason and emotion; one who is distorted either way is not
whole.
Idiosyncrasy: All persons are different from one
another; the less individuality, the less personhood.
Neo-cortical function: Personhood requires
cerebration; if the higher brain is dead, there is no consciousness, no
personhood.
RÉFÉRENCES
[1] Conseiller Scientifique du Centre Georges Canguilhem de
Philosophie et Histoire des Sciences ( Institut de la Pensée Contemporaine /
Université Paris VII ). Professeur d’Anatomie Humaine à l’Universite Saint
Josepth à Beirut. Chargé de cours d’Éthique Médicale à l’USE à Kaslik. Chargé
de cours d’Epistémologie et d’Histoire des Sciences à l’USJ.
[2] Le contenu de cet article est construit autour du texte
d’une conférence, portant le titre de " Bio-Ethique
: valeur universelle ou idéologie ", donnée à Damas par l’auteur le 6 décembre 2003 dans le cadre des
« Rencontres Franco-Syriennes de Bioéthique ».
[3] J’utilise le terme « ethics »
et le vocable « values » en anglais car leur pertinence
me semble accrue dans cet idiome.
[4] Ibidem
[5] Ce néologisme, s’avère être à la mode Il rend avec bonheur
les dérivés du « ethics » anglo-américain.
[6] Bien qu’issue du vocabulaire militaire, l’expression target-group ou « groupe-cible » conserve une meilleure
pertinence étymologique quand elle est dite en anglo-américain.
[7] L’éthique substantielle est une approche qui définit à la
fois le système moral de l’Idée de Bien, et la procédure rationnelle pour y
parvenir. Cette orientation en philosophie morale est perceptible dans le monde
anglo-saxon depuis le milieu du XX° siècle.
[8] L’éthique appliquée est la conséquence de l’éthique
substantielle. Il s’agit essentiellement du cadre procédurier de cette
dernière.
[9] Ou « développement soutenu », concept extrêmement
difficile à cerner car on voit mal à quel type de réalité il renvoie.
[10] MARINO Gordon. « Before Teaching
Ethics »,
The
Observer,
volume 50, n° 24, p.B5, cité in < http://www.chronicle.com >
[11] Op. cit.
« Randy Cohen who writes ‘The Ethicist’ column for the New York Times
Magazine, was a comedy writer for the David Letterman show before he assumed
his present post as director of right and wrong for the Times”. [
Traduction de l’auteur. ]
[12] Op. cit. « And
while some people are crying out for required ethics courses for graduate
students and beginning professors, I am of the Aristotelian persuation that it is
not more theory that we need but more mettle, and that this will not come from
memorizing meta-ethical paradigms and analyzing case histories”. [ Traduction
de l’auteur. ]
[13] Op. cit. “Most
people work gradually at eclipsing their ethical and ethical-religious
comprehension”
[ Traduction de l’auteur. ]
[14] Né à Londres en 1929 d’un père libanais et d’une mère
écossaise, Michael Atiyah est un des plus brillants spécialistes contemporains
de physique théorique et de mathématique. Ses travaux, en mécanique quantique,
sur la théorie des cordes font autorité. Il a été anobli en 1983 par la Reine
Elisabeth II d’Angleterre. Parmi ses multiples contributions à l’avancée des
sciences, il y a lieu de signaler la K-Théorie ( Cohomology-Theory ), ainsi que
ses contributions sur la topologie des champs quantiques, l’invariance des
jauges, la super-gravitation et le super-espace.
[15] Dans l’ensemble des pays arabes, le Liban occupe une place
de pionnier en ce domaine. Le Comité National Consultatif d’Éthique a été mis
en place en 2001. En 1994, le parlement libanais avait promulgué les lois de
déontologie médicale. En 2002 et 2003, les lois sur les greffes et
l’information du patient.
[16] ÁVILA A. et CROCCO M., Sensing, a new
fundamental action in nature, ( Folia Neurobiológica Argentina vol. X ), Inst. for Advanced Study, Buenos Aires,
1996, in
< http://electroneubio.secyt.gov.ar/commentl.htm >
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© 2004 de l’auteur / by the author. Esta
es una investigación de acceso público; su copia exacta y redistribución por cualquier
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