Keywords: akhlaqi, akhlaqiyyat al-tibb wa ouloum al-hayat, bioética, bioethics, bioéthique, brain-mind relationships, esprit, guerre de velours, soul, tecnociencia, techno-science, technoscience, ultrahistory, ultrahistoire

Gobierno de la ciudad de Buenos Aires

Hospital Neuropsiquiátrico "Dr. José Tiburcio Borda"

Laboratorio de Investigaciones Electroneurobiológicas

y Revista

Electroneurobiología
ISSN: 0328-0446

Soigner et Guérir ?

Archéologie du divorce

entre Médecine et Philosophie

Thème d'une conférence donnée à Beyrouth le 15 mai 2004 dans le cadre de la Journée d’Etudes annuelle du Cercle d’Etudes Psychanalytiques du Liban. La communication portait le titre initial « Soigner le Corps ; le Guérir ? »

 

 

par

Antoine Courban[1]

Electroneurobiología 2004; 12 (1), pp. 148-168; URL <http://electroneubio.secyt.gov.ar/index2.htm>

 

Copyright © 2004 de l’auteur / by the author. Esta es una investigación de acceso público; su copia exacta y redistribución por cualquier medio están permitidas bajo la condición de conservar esta noticia y la referencia completa a su publicación incluyendo la URL original (ver arriba). / This is an Open Access article: verbatim copying and redistribution of this article are permitted in all media for any purpose, provided this notice is preserved along with the article's full citation and original URL (above).

 

Correspondance / Contact: Acourban[-at—]cyberia.net.lb

 

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Sommaire (long): Soigner le corps, le guérir ? La présente étude se veut un récapitulatif de l’histoire des idées qui articulent la notion de « maladie » avec celles de « santé » et de « guérison » afin de tenter d’en dégager certains enjeux anthropologiques. Dans une perspective dualiste des rapports corps/âme, le plus difficile est de pouvoir dire comment et pourquoi le « fantôme », l’âme, pénètre dans la « machine », le corps. Cette problématique aurait sans doute dû porter sur l’étude de la cohérence des rapports d’un cerveau donné avec une pensée particulière à l’exclusion de toute autre. Au lieu de concentrer leurs efforts sur cette interrogation fondamentale, les courants dominants de la recherche scientifique contemporaine préfèrent lui substituer un faux problème aujourd’hui appelé « brain-mind problem » ou « problème pensée-cerveau ». Telle est aujourd’hui le dualisme dont l’objet d’étude porte sur l’union d’une structure formée d’éléments étendus appelée cerveau, avec un élément dépourvu d’extension mais pensif appelé pensée. S’affichant comme « moniste », cette conception décrit la « pensée » comme « propriété » de la structure. Cet « habillage moniste » pourrait, ainsi, induire en erreur. C’est pourquoi le dualisme semble triompher aujourd’hui. Il demeure cependant un vieil héritage des conceptions platoniciennes qui, à leur tour, reflètent certains choix de penseurs présocratiques[2]. A la lumière du paradigme antique, cet article parcourt les principales conceptions anthropologiques de l’antiquité tardive et de l’époque paléobyzantine, afin de tenter de comprendre l’évolution des idées en matière de l’union corps/âme.

 

Une notion clé de cette anthropologie est le caractère spécifique, non-dissociable, de l’union d’une chair donnée avec « son » esprit. Ce nouveau paradigme, apparu avec le christianisme au début de notre ère, conçoit l’union indissociable chair/esprit dans son émergence même. La chair et l’esprit ne seraient aucunement liés grâce à leur opérations mutuelles ou connectés durant leur fonctionnement, c'est à dire accouplés à la Locke. Peu importe ce que cette émergence est, c’est elle qui confère toute l’épaisseur constitutive ( i.e le relief ontologique ) de la personne humaine malgré sa nature composite. Ce faisant, le nouveau paradigme se révèle être un monisme plus authentique et non un simple « maquillage » du dualisme par usage abusif du rasoir d’Occam. Ainsi, la pensée n’est pas la propriété d’une structure mais appartient à l’épaisseur constitutive de la personne. Cette dernière a donc une valeur spécifique dans son individualité et la notion de valeur, elle-même, ne peut donc pas renvoyer exclusivement à la transaction commerciale.

 

De cette vision moniste découle un corollaire d’une importance considérable pour la médecine, à savoir que tout individu humain est, en soi, une globalité, une totalité insécable ( unbroken wholeness ). L’harmonie, ou l’équilibre, c’est à dire la santé, d’une telle globalité n’est donc plus vue comme étant un simple reflet de l’harmonie du monde. Malheureusement, le faux problème « pensée-cerveau » se trouve en porte à faux avec les choix de ce nouveau paradigme. L’obsession de la « santé », la médicalisation accrue de la société, ainsi que la culture de l’information font qu’aujourd’hui toutes les thérapeutiques, ou presque, se trouvent être exposées dans la même vitrine consumériste. On comprend donc mieux l’attitude de la psychanalyse contemporaine qui prend ses distances avec la notion de guérison, et qui se méfie du souci de guérison à cause des leurres multiples qu’il comporte. La cure psychanalytique est, dès lors, moins une thérapeutique ponctuelle qu’une aide offerte dans le cadre d’un projet d’expérience de soi.

 

Ceci signifie-t-il que seules les maladies du corps puissent être soignées et guéries alors que celles de l’âme seraient hors d’atteinte de la guérison ? Une telle partition entre maladies organiques et maladies psychiques est une question difficile mais déterminante pour notre civilisation. Elle résulterait du divorce intervenu entre la médecine et la philosophie. Le dualisme triomphant serait donc la résultante directe de la scission, de la séparation entre la médecine et la philosophie. Cette séparation s’est faite autour du problème de la maladie de l’âme, c’est à dire de la passion qui a été évacuée de la médecine et capturée par la philosophie, notamment stoïcienne. La partition entre maladies du corps et maladies de l’âme, le triomphe du dualisme, ainsi que l’émergence de la théorie stoïcienne des passions comme maladies de l’âme, sont des événements majeurs de notre culture.

 

 

« Je ne tiens pas à mourir,

 mais peu me chaut d’être mort »

( Cicéron : Tusculanes – Livre I )

 

 

Entre Hippocrate et Descartes : le dualisme

 

Comment récapituler la longue histoire des idées qui articulent « maladie » avec « santé » ou encore « maladie » avec « guérison » ? Comment rendre compte des enjeux anthropologiques qu’une telle problématique véhicule? Une clé de lecture intéressante me semble cachée dans un psaume attribué au roi David. Cette entrée en matière, à l’aide d’un verset biblique, pourrait paraître insolite dans la bouche d’un homme de science. Quotidiennement, dans les monastères d’Orient et d’Occident, l’office de l’Orthros ou de Matines comporte la cantilation du Psaume 102 où le roi David est dit chanter à lui-même :

 

Mon âme bénis le Seigneur […]

C’est Lui qui pardonne toutes tes fautes,

Lui qui guérit toutes tes maladies,

C’est Lui qui arraches ta vie au trépas ( Ps. 102, 1 ; 3-4 ).

 

La juxtaposition, de manière séquentielle, de ces trois idées : « pardon global», « guérison plénière» et « immortalité » est, en elle-même, remarquable. Elle pourrait résumer en peu de mots toute l’histoire des idées portant sur le rapport entre les membres du couple « maladie/guérison » ou mieux encore « santé/maladie ».

 

Ce chant du psalmiste nous renvoie, justement, aux enjeux anthropologiques qui se profilent derrière nos conceptions de « La Maladie » et de « La Guérison ». La maladie, quel que soit le registre de son mode de représentation, demeure un concept qui renvoie à une réalité finie, celle de tout un chacun : individu spatio-temporellement limité et qui est loin d’être auto-suffisant. Il y a lieu de bien discerner entre « la » maladie ( concept ) ; « les » maladies ( catégories nosologiques ) et « le » malade ( le patient, le sujet ).

 

Le verset du Ps 102 n’a pratiquement aucun sens dans le langage scientifique contemporain. Marqués, de manière inexorable, par le dualisme, la grande majorité d’entre nous n’est pas en mesure de concevoir l’homme autrement que par la juxtaposition, aussi mystérieuse que problématique, de la res extensa, ou substance étendue, avec la res cogitans, ou substance pensante, du dualisme cartésien. Cette juxtaposition, par ailleurs accidentelle, est supposée façonner l’homme durant l’écoulement de son temps de vie. Ce vieil héritage des conceptions platoniciennes nous colle si bien à la peau, qu’il nous paraît aller de soi. Cependant, cette conception est loin de relever du registre des évidences.

 

Dans cet univers mental dualiste, l’âme est implicitement conçue comme enfermée dans la caverne/prison matérielle du corps où elle n’a pas choisi de résider. L’âme, supposée immatérielle, est le siège d’une mobilité permanente, à l’image du vent ( anemós, anima ) [3]. Nostalgique du monde éthéré et/ou spirituel auquel elle appartiendrait, sa subtilité pensive se contente d’interpréter tant bien que mal les images, et par extension les influx, que le corps lui achemine passivement. Ce « flux d’information », pour utiliser le vocabulaire contemporain, circule sans aucun effort d’intellection avant d’aboutir sur l’écran du petit théâtre dit cartésien où il bâtit des théories fondamentales, qui forment l’ossature de notre vision scientifique de l’interaction humaine avec le Réel. J’ai nommé la théorie séquentielle et duelle de la sensation/perception ; la théorie du réflexe ou de la réactivité ; et la théorie de l’information.

 

Au fond, notre principale difficulté de dualistes réside dans le fait que nous n’arrivons pas à expliquer comment, et encore moins pourquoi, le « fantôme » entre dans la « machine ». Il en résulte une difficulté insurmontable à concevoir la cohérence constitutive du mélange ainsi formé. Quoi que nous fassions, nous sommes bien obligés, à un moment ou à un autre de notre réflexion, d’introduire un hiatus, aussi petit soit-il, entre le registre « matériel » et le registre « immatériel ».

 

Il faut sans doute reconnaître aux neurosciences cognitives contemporaines le mérite de vouloir sortir, à tout prix, de cet écartèlement dualiste. Malheureusement, le monisme affiché et proclamé des sciences dites cognitives est un leurre. Le cognitivisme ne fait que maquiller le dualisme en le radicalisant vers le pole supposé « matériel », la matière étant ici comprise comme simple agrégat[4] de molécules ou d’ondes. Dans le cadre de ce pseudo-monisme, la pensée est présentée comme « propriété » d’un tel agrégat ou d’une telle structure. Je ne pense pas qu’en assassinant, ainsi, le sujet de la conscience et de la connaissance, on pourra trouver une issue au dualisme. Tel est, me semble-t-il, le défaut de fabrication du néo-positivisme si cher à tous les enfants du Cercle de Vienne.

 

 

Le faux problème « pensée-cerveau »

 

Mais, revenons à ces maladies de l’âme que Dieu seul est supposé guérir. Aux yeux du psalmiste, il ne s’agit nullement de psychopathologie mais plutôt de la maladie dans toute sa dimension ontologique.

 

La réalité à laquelle renvoie ce concept est un enjeu anthropologique majeur puisqu’il s’agit de la vision explicative que nous pouvons avoir des rapports corps-âme, que de nos jours on appelle brain-mind problem ou « problème pensée-cerveau » pour utiliser le vocabulaire cognitivo-comportementaliste. Cette problématique post-moderniste, le brain-mind problem, est le type même du faux problème. On voit mal, après tout, « pourquoi » et surtout « pour qui » l’union d’une structure organique appelée « cerveau » et d’un élément réflexif appelé « pensée », ou en d’autres termes l’union du couple soma-psyché ou chair-esprit, pourrait constituer un problème quelconque. Un tel mélange s’appelle prosaïquement, dans le langage quotidien, « personne humaine ». Si cette union devrait constituer une problématique, cette dernière consisterait en une interrogation sur l’unité d’un cerveau particulier avec une pensée spécifique, tant en ce qui concerne les fonctions perceptives que les capacités d’autodétermination. Au lieu de cela, la même interrogation continue d’être posée en termes de propriétés non-spécifiques. De là découle le dualisme de ce faux problème qui semble triompher aujourd’hui.

 

Pour Jackie Pigeaud[5], tout indique qu’une rupture est intervenue en Médecine et qui, selon elle, doit être imputée à l’évolution des idées médicales entre Hippocrate de Cos ( IV° s. avant JC ) et Galien de Pergame ( † 210 ). Son jugement est dévastateur et lapidaire : « […] à l’exception de Galien », écrit-elle, « la Médecine a perdu sa capacité de réfléchir sur elle-même, sur sa finalité, sur sa signification et ses concepts[6] ». Le dualisme est au cœur de cette histoire, il en est même, pourrait-on dire, le pivot central. Curieusement, le traité hippocratique Maladie Sacrée[7] fait délibérément un choix moniste, « celui [de l’identité] de la pensée ou de la conscience, du sentiment et du mouvement[8] ». Ce n’est pas le cas, semble-t-il, de la littérature médicale postérieure. Galien lui-même, par qui et à travers qui nous connaissons Hippocrate, semble parfois comprendre difficilement le Maître de Cos tant il nous apparaît marqué par les catégories mentales du dualisme antique.

 

J’examinerai successivement les grandes lignes de la vision anthropologique prisonnière du dualisme. Je m’arrêterai au sens du vocable maladie et terminerai par celui de guérison[9].

 

 

A la lumière du paradigme antique

 

Il me paraît intéressant, pour le propos qui nous occupe, de parcourir les principales conceptions de l’antiquité tardive et de l’époque paléochrétienne, notamment paléobyzantine, pour voir comment les idées ont évolué, en matière de l’union corps/âme, grâce notamment aux conceptions nouvelles introduites par le christianisme. La période à laquelle je fais référence s’étend, grossièrement, entre le deuxième siècle, celui de Galien et le VII° siècle, celui du philosophe et théologien Maxime de Chrysopolis, dit le Confesseur, et aussi de Paul d’Egine, médecin d’Alexandrie qui a continué à soigner et enseigner dans sa ville après la prise de cette dernière par les Arabes.

 

On peut d’ailleurs regretter que les enjeux anthropologiques qui sous-tendent les débats théologiques de l’époque ne soient pas plus familiers au public cultivé contemporain. En filigrane de toutes les controverses christologiques, portant sur la personne de Jésus de Nazareth comme composé divino-humain, se profile de manière lancinante la représentation de l’Homme : sa place dans l’univers ; son rapport à la nature ; le statut de sa chair ; l’union du corps et de l’âme, ou lien de la chair avec la pensée et l’esprit ; la solidité de la cohérence constitutive de la personne humaine malgré sa nature composite ; et surtout, la capacité de l’Homme de vouloir, de juger et de décider, c’est à dire la réalité de sa liberté et, en dernière analyse l’Ethique[10].

 

La nouvelle religion chrétienne va se développer dans une aire culturelle marquée par la pensée et la science grecques antiques mais également par la conception du monde héritée du stoïcisme d’abord puis du néo-platonisme. En se répandant dans l’Empire Romain, le christianisme assumera cet héritage, mais de manière sélective. Tout en utilisant les outils conceptuels de la culture antique, les auteurs, adeptes de la nouvelle religion, vont introduire certaines innovations touchant aux rapports de l’homme et de la nature.

 

A la suite de l’effort des premiers auteurs chrétiens pour expliquer leur foi, l’enjeu du brain-mind problem devint une préoccupation prioritaire. Avec les débats eucharistiques et trinitaires, des notions nouvelles et inconnues jusqu’alors furent forgées et introduites dans la culture antique, notamment en ce qui concerne la valeur propre de n’importe quel individu. Le fondement d’une telle valeur est le caractère non-répétable, constitutivement unique de chacun. Si on devait transposer ces notions dans le langage d’aujourd’hui, on dira que la personne est ce qui ne peut pas être cloné. Ce sont ces notions qui rendront possible, à des siècles de distance, l’émergence du « sujet » de la Modernité même si, de nos jours, la post-modernité semble occulter parfois la valeur de l’individu au profit de celle des groupes.

 

Quoi qu’il en soit et, grâce à ces innovations conceptuelles révolutionnaires, le concept de nature s’en trouva profondément modifié, ainsi que toute la représentation du composé humain, notamment en ce qui concerne l’union du corps et de l’âme. Ceci bouleversera en profondeur le rapport de l’homme à soi et au monde.

 

Les conceptions de l’Antiquité portant sur le Réel étaient marquées par le dualisme inhérent à la pensée grecque ainsi que par la dichotomie permanente entre l’univers sensible et l’univers intelligible, ce dernier étant celui des « Idées » platoniciennes. Au sein de l’univers « tout ce qui existe […] est le fruit du hasard et de la nécessité » disait Démocrite[11]. Les lois ordonnées de la Nature ( Phýsis ) de même que l’arbitraire apparent et incompréhensible du Hasard ( Tychè ) sont tous les deux immanents au Réel.

 

Ils forment, pourrait-on dire, les deux mamelles de la causalité naturelle qui domine et soumet les dieux, les hommes et les choses. Comme le souligne A. Gesché, « phýsis » et « tychè » président à l’émergence du réel selon un mécanisme de pure nécessité immanente. Ils ne procréent pas la réalité à partir du néant. Ils arrachent simplement la réalité au chaos primordial « sans aucune intervention d’une intelligence, ni de quelque dieu que ce soit, ni de l’arttechnè )[12] ».

 

Quant à la causalité technique, celle de l’Art, elle est à l'inverse l’expression de l’inventivité et de la créativité. Cependant, elle demeure accidentelle et la technè se réduit, par conséquent et nécessairement, à une mimésis, une incessante répétition. Ainsi, quoi qu'il fasse, l'homme se trouve soumis de manière constitutive et inexorable à cette même nécessité ( ou au fatum ) dans laquelle il est immergé. Il peut néanmoins conquérir sa liberté dans les seules domaines éthique et politique, à condition de l’arracher à la fatalité, ou à la divinité, en une sorte de projet prométhéen où, à chaque instant, il est guetté par la démesure ou hýbris.

 

Pour la pensée stoïcienne de l’antiquité tardive, la Phýsis/Nature sera assimilée à l’âme de l’univers, le pnéuma d’un macrocosme conçu comme une sorte d’organisme. L’unité fondamentale se trouve dans une régularité, une loi immanente, un Lógos qui régit tout le réel et en prédétermine le cours des événements. Tel est le Fatum ou Destin. Ce Lógos contient en lui toutes les graines ou semences individuelles des logoï spermatikoï, les rationes seminales de la tradition latine. Ces « semences » ont ou auraient , toutes, été créées ensemble et apparaissent au moment approprié. A des siècles de distance, comme dans un écho lointain à ces conceptions, Bonaventure ( 1221-1274 ) et Malebranche ( 1638-1715 ) pourront dire que rien de fondamentalement nouveau n’apparaît en dehors de l’acte créateur premier. Tout se passerait donc comme si la création fut achevée en son premier instant.

 

Une conception des facultés mentales se dégage peu à peu: l’âme est censée « pré-exister » à son enveloppe matérielle et descendre « temporairement » dans le monde sensible, celui du corps physique. Durant cette « incorporation », l’âme rationnelle, et ses facultés d’imagination, de rationalité et de mémorisation, est complétée par les facultés de l’âme végétative, irrationnelle : sensation, humeur, et désir. L’âme individuelle est soit une étincelle de l’âme du monde ( selon la vision stoïcienne ) soit l’émanation d’une hénade originelle ( selon les conceptions néo-platoniciennes ). On retrouvera ces idées, partiellement ou entièrement, chez des auteurs non-chrétiens comme Posidonius d’Apamée ( c. 135 – 50 avt JC ), Cicéron ( 106 – 43 avt JC ), le médecin Galien de Pergame ( c. 131 – 201 ) ou Plotin ( 203-270). L’homme demeure ainsi un « microcosme », reflet du « macrocosme ».

 

 

Cohérence du rapport soma-psyché

 

Quant aux auteurs chrétiens, leur situation est différente. Certains, comme Origène ( 183 – 252 ), admettent encore la pré-existence des âmes. Grégoire de Nazianze ( 335-390 ) demeure semble-t-il troublé par le statut du corps, il évoque la situation des hommes « … prisonniers de la terre … et revêtus de la densité de la chair[13] ». Némésius d’Emèse ( fin du IVème s. ), médecin puis évêque d’Emèse (Homs) en Syrie, consacre tout le chapitre 3 de son traité « De Natura Hominis [14]» à l’union du corps et de l’âme[15].

 

Ces idées anthropologiques étaient étroitement liées aux conceptions médicales de l’époque. Il n’était pas rare que les penseurs antiques s’appuient sur des constatations médicales contemporaines, notamment sur Galien, voire sur des conclusions découlant de certains faits expérimentaux. Les plus grands experts en théologie étaient familiers de la clinique médicale de leur temps[16].

 

Pour la littérature médicale de l’Antiquité, depuis Alcméon de Crotone[17], [18] ( 520-450 avt JC ) jusqu’à Galien, l’importance du cerveau dans les fonctions nerveuses ainsi que la mobilité de l’âme étaient des lieux communs. Par contre, l’union de l’âme et du corps demeurait un problème déroutant. Un certain médecin byzantin Posidonius[19], [20] - différent du célèbre philosophe stoïcien du 1er siècle avant JC - fit vers 390 des recherches sur le cerveau pour tenter de localiser les fonctions cérébrales. Ses travaux ne semblent pas avoir été concluants.

 

Beaucoup plus intéressant est l’ouvrage de Jean dit Philoponos ou « aimant des travaux ardus » ( ~ 525 ? ) qui, entre autres études des œuvres aristotéliciennes, écrivit un commentaire du « De Anima » d’Aristote. Ses conceptions sont proches de Galien. Philoponos place la génération du pneuma ou souffle vital dans le cœur, ce dernier est donc l’organe central du pneuma alors que le cerveau serait l’organe central de la sensation. Il étaye sa démonstration en se référant aux expériences faites sur des animaux à l’aide du « meningophyllax[21] » ( μηνίγγοφύλαξ ).

 

Pour Philoponos cette expérience ne prouve pas que les trois facultés de l’âme rationnelle ne sont pas spatialement distinctes et séparées. Leur unité se trouve dans le pnéuma qui se voit ainsi qualifier « d’organe de tous les sens[22] » ou « organe commun à tous les sens [23]». De plus, le même pneuma se voit investi du statut de « principe de cohésion », « principe de cohérence » ou de « principe unifiant [24]».

 

Chez les médecins byzantins, le mélange de l’anatomo-physiologie et de la métaphysique est quasi un trait caractéristique. Ce souci métaphysique permanent anticipe la pensée réaliste d’un Xavier ZUBIRI ( 1898-1983 ), pour qui : « Une métaphysique qui ne serait pas suffisamment ‘physique’ cesserait d’être ce qu’elle est pour se convertir en logique, phénoménologie[25] … ». Elaborant sur la cohésion et la cohérence de ce principe unifiant, Philoponos revient à Galien et dit : « Si l’âme est non corporelle, alors le pneuma est sa première demeure. Mais si l’âme est corporelle, alors elle est identique au pneuma[26] ».

 

 

Nouveau paradigme, le couple indissociable « chair-esprit »

 

Nous arrivons içi à une notion clé de l’anthropologie de l’époque patristique, qu’Oleg KLIMKOV qualifie de « matérialisme chrétien » et qui pourrait se résumer en cette affirmation qu’on trouve chez Ephrem de Nissibe ( 306-373 après JC ): « Voyez, par expérience, comment l’âme existe toute entière, seulement dans le corps[27] ». Comment ne pas rapprocher cette citation d’Ephrem de ce que dit Merleau-Ponty : « Je suis mon corps » ou de la définition de Jackie Pigeaud : « La maladie de l’âme vient de ce que nous avons un corps[28]». Ceci semble, à mes yeux, un registre de compréhension nouvelle de la célèbre boutade de Jacques Lacan lequel arrivant à Boston, dans la Mecque du Cognitivisme, se dépêche de saluer ses interlocuteurs en disant : Je pense avec mes pieds. Il voulait dire, par là, « je ne pense pas qu’avec mon cerveau ». J’ai tendance, personnellement, à imaginer qu’il eût pu dire : « Je ne marche pas avec mes pieds au même titre que je ne pense pas avec mon cerveau »[29].

 

Mais revenons à l’union corps-âme …

 

C’est donc dans ce cadre culturel de changement de paradigme que le christianisme va se développer et contribuer à la rupture épistémologique en la matière. L’anthropologie antique, de type stoïcien ou de type néo-platonicien, demeure dualiste, dominée par la notion de l’incorporation, de la descente de l’âme dans le corps. Quelle nouveauté introduira le christianisme dans une telle perspective ?

 

Il est naturel de penser au monothéisme mais l’idée d’un dieu unique n’était pas étrangère à l’Antiquité. Je crois que le changement fondamental introduit par le christianisme réside dans la notion d’Incarnation ; telle est me semble-t-il l’idée centrale, pierre d’angle de la rupture épistémologique que j’évoque.

 

Dans une telle conception, ce n’est plus un processus d’incorporation qui régit les rapports du visible et de l’invisible. Ce n’est plus la matière qui s’incorpore les âmes de manière répétitive. C’est l’esprit qui prend, qui se saisit de la chair. Ce ne serait donc plus l’âme qui descend dans le corps mais, plutôt, la chair qui monte vers l’esprit. Le mouvement est inversé. Sur le plan des représentations, ceci a sans doute entraîné un renversement complet au niveau de l’imaginaire.

 

Toute l’histoire de l’Empire Romain d’Orient ( byzantin ), du quatrième au huitième siècle, sera largement dominée par les controverses de la modalité de cette « prise de chair » dans la personne de Jésus de Nazareth. L’issue de cette problématique fut la définition bien connue de l’unité de la personne en deux natures, donnée à Chalcédoine en 451. Il s’agit donc de débats théologiques, étrangers à mon propos, mais qui ont eu des conséquences de premier plan sur le plan de l’anthropologie : la conception de la Nature et des rapports Homme-Nature ; la cohérence de l’Homme au sein de son unité hypostatique ; l’unicité de l’Homme en tant que personne ; la liberté constitutive de l’Homme .

 

 

Santé et Maladie

 

De cette notion découle un corollaire d’une importance considérable pour l’Art de Guérir ou Médecine, à savoir que tout individu humain est, en soi, une globalité, une totalité insécable ( unbroken wholeness ). L’harmonie, ou l’équilibre, c’est à dire la santé, d’une telle globalité n’est donc plus vue comme étant un simple reflet de l’harmonie du monde. C’est Galien, le médecin des gladiateurs, qui le dit le plus clairement lui qui enseignait que la médecine est faite de deux parties : l’art de guérir les maladies ( la thérapeutique ), et l’art de prévenir les maladies ( l’hygiène). Quant à la question de la santé, comme d’ailleurs celle de la psyché, Galien suspend son jugement et s’interdit d’en parler. La santé, pour Galien, est une notion métaphysique. L’harmonie subjective, ou bien-être, de l’homme est une position intermédiaire, à la fois instable et oscillante, entre une réalité physique, la maladie, et une réalité métaphysique, la santé.

 

Dès lors, de quoi dépend cet équilibre à la subjectivité si irréductible qu’on appelle santé et qu’est ce donc que la maladie ?

 

Selon les Problèmes aristotéliciens, « la maladie est un mouvement, la santé un état de repos[30] ». A première vue il semble qu’il ne soit guère difficile de donner une définition du terme « maladie ». Pourtant une telle tentative se heurte à des difficultés insurmontables. Il existe une différence fondamentale entre le fait d’être malade et le fait d’avoir une maladie. Les substantifs du langage ordinaire ne rendent pas compte de ces nuances. On le voit bien dans certaines langues, comme l’anglais, qui distinguent, de manière subtile, entre « disease », « illness » et « sickness ». Cerner le sens des termes est souvent une tâche ardue. Quoi qu’il en soit, une double problématique se profile. Dès qu’on parle de « la » maladie, on est confronté à l’ambiguïté du concept de norme biologique et sociale. Mais si on évoque « les » maladies, c’est leur statut ontologique qui pose la principale difficulté : est-ce qu’on découvre les entités nosologiques ou est-ce qu’on les invente ?

 

Malgré tout le rationalisme apparent de la science contemporaine, ces vieux débats refoulés sont le substrat sur lequel toute la médecine est construite. Qu’on songe seulement au phármakon, ou remède évacuant. Son sens ne rappelle-t-il pas celui de son quasi-homonyme le pharmakós ou victime expiatoire qui opère l’expulsion du mal de la cité ?

 

 

Thérapeutique et Guérison

 

L’histoire de la thérapeutique et celle de l’idée de guérison sont loin de se recouvrir ou de s’épuiser mutuellement. Jean Starobinski attire, à juste titre, l’attention sur le lien « quasi contractuel qui lie l’attente de la guérison à l’offre de traitement, la demande de soin à la réponse[31] » qu’apporte un certain savoir. Malgré tous les progrès techniques qui élargissent de jour en jour son champ d’intervention, la médecine scientifique ne peut se dispenser de cette vérité d’évidence qui veut que le malade conjugue le verbe guérir à la première personne alors que le verbe soigner peut se conjuguer n’importe comment, voire de manière anonyme. Dans une telle optique, il est légitime de se demander si l’attente de la guérison, ou d’une guérison encore plus parfaite, ne suit pas la même courbe ascendante que celle de l’offre. Dans une culture où la notion de « valeur » renvoie exclusivement à la transaction commerciale, il n’y a pas lieu d’être surpris si l’espoir de guérison ne fait que refléter le culte rendu à cette valeur refuge qu’est la santé. Vouloir « retrouver » la santé à n’importe quel prix entraîne une confiance indue dans des traitements non-conventionnels mis à l’étalage. L’obsession de la « santé », la médicalisation accrue de la société, ainsi que la culture de l’information font qu’aujourd’hui toutes les thérapeutiques, ou presque, se trouvent être exposées dans la même vitrine consumériste.

 

Cette distinction nette entre « soigner » et « guérir » est un des piliers fondamentaux de la médecine. En principe, il n’existe aucune législation au monde qui impose au praticien, dans le cadre du contrat médical, l’obligation des résultats mais uniquement celle des moyens. Il y a là l’expression d’une profonde sagesse intuitive qui présuppose, à juste titre, que la guérison est un phénomène d’un autre ordre que celui de l’acte de soigner.

 

Pour la médecine hippocratique, la santé, la maladie et la guérison sont les effets de l’œuvre de la nature. Le chirurgien Ambroise Paré (1509-1590) se plaisait à répéter : « Je le pansay, Dieu le guarit [32]». Dans son Dictionnaire Philosophique, à l’article « Maladie-Médecine », Voltaire[33] fait dire au « Médecin » s’adressant à la « Princesse » : « Nous guérissons infailliblement tous ceux qui se guérissent d’eux-mêmes » et, comme en un écho, Rousseau reprend dans l’Emile : « Faute de savoir se guérir, que l’enfant sache être malade ; cet art supplée à l’autre, et souvent réussit beaucoup mieux[34]… ». Ce faisant, Rousseau ne fait que reprendre à son compte les conceptions en la matière que développe Cicéron dans les Tusculanes[35], notamment le Livre II dont le pivot est une interrogation : la douleur est-elle le plus grand des maux ?

 

On comprend mieux l’attitude de la psychanalyse contemporaine qui prend ses distances avec la notion de guérison, voire qui se méfie du souci de guérison à cause des leurres multiples qu’il comporte. La cure psychanalytique est, dès lors, moins une thérapeutique ponctuelle qu’une aide offerte dans le cadre d’un projet d’expérience de soi. Quant à la guérison, elle serait, pourrait-on dire, un « bénéfice de surcroît[36] » pour reprendre la formule de Jean Starobinski.

 

Médecine et Philosophie : le divorce culturel

 

Ceci signifie-t-il que seules les maladies du corps peuvent être soignées et guéries alors que celles de l’âme seraient hors d’atteinte de la guérison ? Une telle partition entre maladies organiques et maladies psychiques est une question difficile mais déterminante pour notre civilisation. Elle résulterait du divorce intervenu entre la médecine et la philosophie. La médecine aurait-elle eu peur d’être philosophique ? En tout état de cause, et jusqu’au V° siècle avant JC, on est frappé de voir combien était vaste le champ de la médecine. On en voudrait pour preuve, comme le montre J. PIGEAUD, traité hippocratique intitulé « sur la Maladie Sacrée » qui adopte délibérément une approche holistique et ne sépare pas les troubles du corps des perturbations, ou des passions de l’âme.

 

Le dualisme triomphant serait donc la résultante directe de la scission, de la séparation entre la médecine et la philosophie. Cette séparation s’est faite autour du problème de la maladie de l’âme, c’est à dire de la passion qui a été évacuée de la médecine et capturée par la philosophie, notamment stoïcienne. A partir de cette dernière, cette séparation a eu une influence sur la spiritualité et la théologie chrétiennes très marquées par le stoïcisme. Il suffit pour s’en convaincre de lire la littérature monastique, celle d’un Jean Climaque ou d’un Evagre le Pontique par exemple. En Orient, l’ascèse monastique avec sa discipline, ses régimes nutritionnels contraignants, sont en quelque sorte la thérapeutique de la maladie de l’âme, la passion. Par ailleurs, la condition monastique elle-même est vue comme une « thérapeutique » des « maladies de l’âme[37] » ou passions. La quiétude, ou hesychia, s’obtient quand l’âme est enfin apaisée. Elle trouve, alors, ou retrouve sa sérénité statique c’est à dire sa « santé[38] ».

 

Pour Celse, c’est Hippocrate qui sépara la médecine de la philosophie établissant ainsi le mythe de la médecine moderne. De ce mythe fondateur nous tirons une leçon : refusant de s’occuper des principes premiers, la médecine ne peut donc pas prétendre pouvoir décrire un quelconque état initial qui servirait d’étalon de référence. Par son divorce d’avec la philosophie, elle demeure muette sur une quelconque situation de quiétude originelle, d’euthymie, d’isonomie, échappant aux turbulences de l’âme si mobile. Le but du médecin n’est plus tant de décrire que de classer, de définir, de réfléchir sur l’étiologie et localiser le siège de la morbidité….. Les médecins peuvent être en désaccord total sur les causes, les lieux et les agents – mais en accord total quand il s’agit des classifications et des définitions nosologiques.

 

La partition entre maladies du corps et maladies de l’âme, le triomphe du dualisme, ainsi que l’émergence de la théorie stoïcienne des passions comme maladies de l’âme, sont des événements majeurs de notre culture. Malheureusement, le public cultivé contemporain ne se souvient plus de ces enjeux. Pour les stoïciens, comme Cicéron par exemple, les maladies de l’âme ne sont pas de purs phénomènes. Elles impliquent la question du rapport de l’âme et du corps, de la moralité, de la responsabilité. Rien n’illustre mieux cet écartèlement que la Médée d’Euripide, six fois meurtrière et deux fois infanticide, sans doute la plus déplorable et la plus bouleversante des héroïnes. Plus on approche de sa monstruosité, plus cette femme gagne en mystère, en séduction, en humanité, surtout quand elle s’écrie : « Je comprends que je fais le mal mais mon thýmos ( humeur ) est plus fort que mes bouleúmata[39] ( volontés )».

 

 

Guérison : une galaxie polysémique

 

Dans ces conditions peut-on encore parler de « sens » du mot guérison ? Ne vaut-il pas mieux envisager ce vocable sous la perspective d’un vaste champ polysémique ? Littré ne donne aucun sens figuré à « guérison » dans son Dictionnaire. A l’inverse, le Dictionnaire Encyclopédique de Diderot, par sa définition de « guérir » indique bien la continuité du corps et de l’esprit. Encore plus que le concept de « maladie », celui de « guérison » relève du registre de la personne. Guérir n’est pas la réponse à la question : « guérir de quoi ? » mais « guérir qui ? »

 

Qui guérit ? Qui est malade ? Qui n’arrive pas à guérir ?

 

De manière simpliste, on pourrait comprendre la guérison comme étant l’issue de la bataille contre la maladie que mène le malade assisté de la Médecine. Mais la mort de la maladie, à la définition on ne peut plus floue, est elle vraiment guérison ? Dans le même registre on pourrait dire : une lésion signifie-t-elle la mort de la santé ? On peut avoir un diabète, être atteint de je ne sais quelle lésion et n’en déclarer pas moins être en bonne santé.

 

Du coup, d’autres interrogations surgissent : la demande de guérison est elle vraiment indépendante de l’offre de traitement ? Guérir est il une spécificité médicale. A-t-on obligatoirement besoin de la Médecine pour « guérir » ?

 

Dans l’Iliade, par exemple, on voit un guerrier blessé par Achille guérir de sa blessure au contact du glaive qui l’a provoquée, ce qui n’est pas sans rappeler le vers que Corneille met dans la bouche d’Antiochus : « La main qui m’a blessé a daigné me guérir[40] » La guérison serait, dans ces conditions, vue comme l’inversion d’un processus morbide et/ou le retournement du pouvoir qui a causé le mal[41]. Mais, on peut tout aussi bien guérir par l’expérience personnelle du sacré. C’est ainsi que guérissait Asclépios le dieu de la Médecine, à l’occasion d’une théophanie onirique qui se produisait lors du rite de l’incubation[42]. C’est ainsi, et au moyen d’une telle épiphanie, que guérissent encore aujourd’hui certains saints thaumaturges du bassin oriental de la Méditerranée.

 

Plus d’un moyen peut être mis en œuvre en vue de la guérison de quelqu’un. Il est évident que la technè médicale facilite le résultat par son efficacité. Ceci signifie-t-il pourtant que la guérison est un retour à un état antérieur, une sorte de restitutio ad integrum ? Georges Canguilhem[43] disait: “aucune guérison n’implique un retour” et ce, en vertu du deuxième principe de la thermodynamique. En cela, Canguilhem récuse la conception purement mécaniste qui proclame la réversibilité des phénomènes naturels. Au contraire, il attire l’attention sur la « temporalité » et prend le parti de la conception d’un temps linéaire et discontinu et non d’un temps cyclique où il serait toujours possible de revenir au point de départ.

 

 

Guérison : mort et résurrection

 

Cette temporalité ne laisse-t-elle pas entrevoir une question encore plus profonde : et si guérir n’était qu’une attente, un désir ? Et si la guérison n’était que le rêve nostalgique qui hante notre humanité et qui est inscrit en chaque point de nous-mêmes. Et si chaque parcelle de notre être était tendue vers ce devoir-être qu’est la guérison ? N’y a-t-il pas, au sein de ce « guérir », quelque chose de cette causalité finale dont parle Aristote et que la science contemporaine a préféré abandonner. S’agirait-il de la nostalgie du paradis perdu ou plutôt de l’expression de la pulsion de mort ? Ne pourrait-on pas y voir tout simplement l’expression naturelle de cet espoir sans lequel la vie humaine serait problématique ?

 

En affirmant son langage la médecine scientifique nous a rendus attentifs au fait qu’il est possible de faire reculer des maladies mais qu’il n’y a jamais de guérison sans restriction. En quoi elle rejoint le vieil avertissement de la philosophie qui assigne l’existence corporelle à la finitude. Georges Canguilhem ne disait-il pas : « Apprendre à guérir, c’est apprendre à connaître la contradiction entre l’espoir d’un jour et l’échec, à la fin. Sans dire non à l’espoir[44] ». Mais en quoi consisterait cet espoir ? Est-ce une régénération ou une renaissance ? Ne s’agit-il pas plutôt de l’espoir fou, du désir impossible, de la guérison définitive de cette maladie par excellence qu’est la mort ou la condition de mortalité ? Guérir de la mort, accéder à l’immortalité, vaincre la mort elle-même, s’expriment par l’idée de résurrection qu’on rencontre dans une multitude de civilisations mais qui est exprimée avec le plus de netteté dans les cultures monothéistes. Cette guérison/résurrection est ainsi comprise comme aboutissement d’un long processus thérapeutique appelée « histoire ».

 

En attendant cette hypothétique échéance eschatologique, que pourrait répondre l’âme du roi David que le Psaume 102, évoqué plus haut, invite à bénir celui qui est supposé « pardonner », « guérir » et « arracher à la mort » ? Le Psaume en question demeure muet et se contente de formules de louanges. Néanmoins, l’aspiration humaine vers une sortie de la condition de mortalité, est clairement formulée, et de manière constante, dans les rites funéraires de la plupart des cultures humaines. C’est au travers de la symbolique de tels rituels qu’on pourrait espérer trouver la réponse de l’âme du roi David. Un exemple illustratif de cette aspiration de l’homme à la guérison plénière est contenu dans l’office des funérailles du rite byzantin et pourrait tenir lieu de réponse. Face à la dépouille mortelle, le chœur des célébrants psalmodie un hymne élégiaque écrit à la première personne. C’est la cantilation de l’âme du défunt s’adressant à la divinité. Elle entonne, non un thrène funèbre, mais une oraison suppliante sous forme d’un chant d’espoir dans lequel elle est supposée dire :

 

« …Je suis l’image de ta gloire ineffable

[…] donne moi de retourner au Paradis

[…] Jadis tu m’avais tiré du néant

pour me former à Ton image […]

Mais je suis retourné à la glaise dont j’ai été formée

Vers ta ressemblance fais moi revenir maintenant

Et restaure ma première beauté ».

 

 

 

[45]



[1] Conseiller Scientifique du Centre Georges Canguilhem de Philosophie et Histoire des Sciences, Institut de la Pensée Contemporaine / Université Paris VII – Denis Diderot. Professeur d’Anatomie Humaine à l’Universite Saint Josepth à Beirut. Chargé de cours d’Éthique Médicale à l’USE à Kaslik. Chargé de cours d’Epistémologie et d’Histoire des Sciences à l’USJ.

[2] C’est la cas de Pythagore et de Parménide par exemple.

[3] Cette âme n’a pratiquement aucune consistance. Elle serait aussi légère que l’air, les nuages, les ondes quantiques, les visions, les apparences. C’est presque un fantôme.

[4] Cet agrégat physique est classique ou quantique, cohérent ou simplement articulé.

[5] Professeur à l’Université de Nantes. Membre de l’Institut Universitaire de France ( Littérature gréco-latine )

[6] LECOURT, D. et al., « Dictionnaire de la Pensée Médicale », 2004, PUF, Paris, p. 698

[7] Nous savons aujourd’hui que Maladie Sacrée n’est pas l’œuvre d’Hippocrate mais de Polybe.

[8] LECOURT, D. et al., loc. cit.

[9] Je ne m’attarderai pas aux questions annexes et fondamentales des différents subjectivismes. Je renvoie le lecteur à l’étude de SZIRKO, M., « Planck’s discovery: Because of impossibility of receiving afresh in the observer’s representation the causal efficacy already exhausted in generating the observed changes, science observes in extramentalities only rules of succession ». Aussi en « Neurobiology of Recovery: What is Restored on Recovering the Brain Support of Mental Functions? », première partie dans M. Crocco y M. Szirko, The Tango Theory: A Synopsis of Brain-Mind Relationships, à paraître.

[10] On est frappé de voir comment ces controverses se sont parfois déroulé dans une atmosphère d’extrême violence voire de conflits sanglants, au sein de l’Orient romano-byzantin. Mais ceci doit-il nous étonner ? Quand l’enjeu ultime d’une problématique déterminée est la liberté constitutive de l’homme, on comprend aisément que la logique du pouvoir coercitif soit un acteur essentiel du débat. Toute l’histoire de Byzance et de ses « querelles byzantines » illustre à sa manière cet étrange paradoxe.

[11] GESCHE, A., « L’Homme », Editions du Cerf, Paris, 1993, 160 pages, p.59

[12] loc. cit.

[13] ELLVERSON, A.S., « The Dual Nature of Man. A Study in the Theological Anthropology of Gregory of Nazianzus”, Acta Universitatis Upsaliensis – Studia Doctrinae Christianae Upsaliensis 21, Uppsala, 1981, p. 27

[14] PERRIN, M., « L’Homme Antique et Chrétien. L’Anthropologie de Lactance 250-325 », Ed. Beauchesne, Paris, 1981, p.281

[15] Pour l’histoire des idées Némésius est sans doute, dans la foulée de Galien, celui qui a le mieux formalisé la doctrine du pneumatisme ventriculaire avant les médecins arabo-musulmans. En fait il serait plus exact de lui assigner la localisation des trois fonctions de l’âme dans les trois ventricules du cerveau : postérieur pour la mémoire, moyen pour l’imagination et antérieur pour la sensation. Némésius, repris par plusieurs auteurs, développe un argument remarquable qui montre bien la difficulté à trouver une issue de cohérence à la nature duelle de l’homme : « Quand nous pensons qu’une pomme de cire est une vraie pomme, ce n’est pas la vision qui se trompe mais la pensée. Car la vision, dans son activité spécifique, n’est pas fausse : elle a reconnu la couleur et la forme […] Il est bien vrai et bien manifeste que c’est l’esprit qui voit les objets placés devant lui, à travers les yeux … » ( PERRIN, M., op. cit. p. 215 ).

[16] Au XVIème siècle de notre ère, les moines de la Grande Laure du Mont Athos ont commandé un nouveau programme de fresques pour leur réfectoire. Sur le panneau principal on voit Galien parmi les figures des prophètes et des saints. C’est dire l’importance de la médecine dans certains mileux.

[17] OUTES, D. L., ORLANDO, J. C. et CROCCO, M., « Las fuentes de Calcidio (siglo IV dC): ¿cómo se recopiló la neuropsicología de Alcmeón de Crotona ocho siglos después de su muerte? » Investigación # 6773 (1981-1984), Facultad de Medicina de la Universidad de Buenos Aires; sommaire dans “Guía de Invest. en curso en la Universidad de Buenos Aires vol. II”, 1984 : Instituto Bibliotecológico de l’Université de B. Aires. Cette liaison constitue une étape vitale pour la démarche conceptuelle neuropsychiatrique de l’Occident, bien qu’il soit surprenant de voir comment le moine Chalcidius a pu avoir accès aux connaissances neuro-psychologiques acquises par Alcméon huit siècles auparavant et qui diffèrent, sur quelques notions essentielles, avec les idées d’Aristote et d’autres médecins-naturalistes postérieurs. La démarche de Chalcidius se situe dans le cadre d’un projet vraisemblablement initié par Ossius de Córdoba pour la synthèse intégrale des savoirs sur la nature.

[18] Alcméon de Crotone, élève de Pythagore, aurait affirmé : « ce qui gouverne siège dans le cerveau… », voir www.ambafrance-il.org/downloads/d46francais.pdf p. 5/9

[19] LEWY, A. et LANDESBERG, R., « Über die Bedeutung des Antyllus, Philagrius, und Posidonius », Janus, 2 (1847), 758-771 ; et 3 (1848), 166-184. Cité dans : « Symposium on Byzantine Medicine », Dumbarton Oaks Papers, XXXVIII (1984) p. xii.

[20] op. cit. p.xii: TEMKIN O., « Das ‘Brüderpaar’ Philagrios und Posidonios », SA, 24 (1931), 268-270 ; cf. aussi OUTES, D. L., ORLANDO, J. C. et CROCCO, M., « Las fuentes de Calcidio… » , ref. 14.

[21] op. cit. « Symposium on Byzantine Medicine », in ref. 21, pp. 103-110 : TODD R.B., « Philosophy and Medicine in John Philoponus’ Commentary on Aristotle’s De Anima ». Le meningophyllax est une sorte de trépan. L’expérience consiste à provoquer des lésions de section de la substance nerveuse et de la moelle. Appliqué à la face latérale du crâne, le trépan fait perdre la mobilité et la sensation à l’animal. Appliqué à la moelle, il lui fait perdre la mobilité de la moitié inférieure du corps mais conserve la sensation dans la moitié supérieure. Philoponos conclut donc à la localisation cérébrale de la sensation [Note de l’auteur : AC ].

[22] loc. cit.

[23] loc. cit.

[24] Ainsi il se distingue de Galien pour qui le pneuma était l’organe premier ou próton órganon alors que l’âme était localisée dans la matière cérébrale elle-même. Philoponos pense plutôt à une localisation ventriculaire. Il préfigure les conceptions du pneumatisme ventriculaire qui seront développées et formalisées par les médecins arabo-musulmans ( Razi ; Ibn Baja ). [Note de l’auteur : AC]

[25] Il s’agit en réalité d’une citation d’I. ELLACURIA qu’on trouve reprise par Xavier ZUBIRI. Cité dans SECRETAN P. et al : « Introduction à la Pensée de Xavier Zubiri », 2002, Paris, L’Harmattan, p. 67.

[26] loc. cit. p. 108 § III « … if the soul is incorporeal, the pneuma is so to speak its first home, but if it is corporeal it is identical with the pneuma ». [Traduction française de l’auteur : AC].

[27] "See by experience that the soul only exists completely in the body" (Ephraim the Syrian, Nisibean Hymn 11:4). Cité par: PAPADEMETRIOU G., “The Human Body According to Saint Gregory Palamas”, http://www.new-ostrog.org/palamas.html [Traduction de l’auteur: AC]

[28] LECOURT D. et al. op. cit. p. 697-702

[29] Cette interprétation est également celle faite par l’école argentine de neurobiologie. cf. p.e. le titre du § 3.1.5, (« We do not think with the neurons as well as we do not walk with the feet ») dans ÁVILA, Alicia et CROCCO, M. (1996), Sensing: A New Fundamental Action of Nature (Folia Neurobiológica Argentina, vol. X: Institute for Advanced Study, Buenos Aires), pp. 835 ss.

[30] ARISTOTE, Problèmes, VII, 4 ( éd. Louis, p. 124 ), in GRMEK M. et al., « Histoire de la Pensée Médicale en Occident, tome I : Antiquité et Moyen-Age », 1995, Seuil, Paris, p. 219.

[31] LECOURT, D. et al., op. cit, p. 547.

[32] loc. cit

[33] < http://www.voltaire-integral.com/20/maladie.htm >

[34] cité in LECOURT, D. et al., op. cit, p. 549.

[35] CICERON, M. T., Œuvres Philosophiques – Tusculanes, Tome I ( I - II ), 1931, Paris, Les Belles Lettres, Collection Guillaume Budé, pp. 76-115.

[36] LECOURT et al.., op. cit, p. 552

[37] La nosologie et la taxinomie de ces entités morbides se résument ainsi : « Philautie » ( amour de soi ); « Gastrimargie » ( gloutonnerie ); « Luxure »; « Philargyrie-Pléonexie » ( cupidité - avarice ); « Tristesse »; « Acédie » ( mélancolie ); « Colère »; « Crainte »; « Cénodoxie » (vanité ); « Orgueil ». Cf. LARCHET, J-C, Thérapeutique des Maladies Spirituelles, 2000, Paris, Editions du Cerf.

[38] La santé retrouvée se caractériserait par un état de sérénité fait de : « impassibilité », « charité » et « connaissance ».

[39] Cité par PIGEAUD, J., in LECOURT, D. et al., op.cit, Dictionnaire de la Pensée Médicale, p. 699.

[40] CORNEILLE, P., Rodogune acte IV scène III, in « Œuvres Complètes », 2 vol, 1980, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, tome 2, p. 248. Cité in LECOURT, D et al, op. cit, p. 550.

[41] Voir STAROBINSKI, J., loc. cit, dans LECOURT, D. et al, Dictionnaire de la Pensée Médicale, op. cit, p. 549.

[42] Dans les temples d’Asclépios, notamment à Epidaure, les malades passaient la nuit dans le labyrinthe, non loin des serpents. Malgré la proximité des ophidiens qui pouvaient les empêcher de s’endormir, les malades étaient visités durant leur sommeil : le dieu de la médecine leur apparaissait en songe. Le diagnostic de la maladie se résumait en une divination et la thérapeutique en l’exécution des instructions révélées lors de cette théophanie onirique et interprétées par les prêtres-médecins, les Asclépiades.

[43] CANGUILHEM, G. « Le Normal et le Pathologique », 1999, Paris, PUF – Quadrige, 8ème édition.

[44] LECOURT, D. et al., op. cit, p.552

 

 

 

 

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